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Interview du docteur Konstantinos Farsalinos, cardiologue au centre de chirurgie cardiaque Onassis (Athènes), par le magazine Paris Match
Le 03 septembre 2013 | Mise à jour le 03 septembre 2013
Konstantinos Farsalinos, cardiologue au centre de chirurgie cardiaque Onassis (Athènes), est activement engagé dans la recherche sur la sécurité et les risques de la cigarette électronique. Alors qu'il vient de présenter la première étude de ses effets sur le cœur, la cigarette électronique est pour lui une révolution en matière de réduction des maladies liées au tabac. .
Vous revenez du congrès de la Société européenne de cardiologie, à Amsterdam, où vous avez présenté la toute première étude des effets de la cigarette électronique sur le cœur. Quelles sont vos conclusions? Nous avons réalisé pour la première fois une étude qui évalue les effets immédiats de la cigarette électronique sur la capacité des artères coronaires à délivrer du sang et de l'oxygène au muscle cardiaque. Nous les avons comparés à ceux de la cigarette de tabac dont nous savons, grâce à des études antérieures, qu’elle est nocive pour le coeur. Nous avons observé qu’après deux cigarettes de tabac, le flux sanguin diminuait significativement (16%) et la résistance au flux augmentait (19%), ce qui n’est pas recommandé. Avec la cigarette électronique, ces valeurs restent stables : aucun effet indésirable n'est observé. Nous avons aussi mesuré le monoxyde de carbone dans le sang (carboxyhémoglobine) et constaté que les fumeurs avaient des taux 3 à 4 fois supérieurs à ceux des « vapoteurs », avant même de fumer, et qu’ils augmentaient encore de 15 à 20% après avoir fumé une cigarette de tabac. Chez les vapoteurs, aucune augmentation du monoxyde de carbone n'a été observée.
“60 millions de consommateurs” a fait beaucoup de bruit, la semaine dernière, en révélant que la cigarette électronique était peut-être cancérigène. Devant le succès exponentiel de ce produit, doit-on aujourd’hui avoir peur? Les effets potentiels de la cigarette électronique doivent être comparés à ceux du tabagisme. Rappelons que la cigarette électronique est une alternative au tabagisme et que les méthodes conventionnelles pour arrêter de fumer ne sont pas très efficaces à long terme (moins de 20% pour les médicaments les plus efficaces). Toutes les études montrent que certains toxiques sont présents, mais d'une magnitude bien plus faible que dans la fumée de cigarette. De plus, en ce qui concerne certaines substances (nitrosamines), les taux sont comparables à ceux que l'on trouve dans les substituts nicotiniques. Quel est le meilleur choix pour ces fumeurs (plus de 80% d'entre eux) qui ne peuvent pas arrêter de fumer avec les méthodes approuvées et disponibles? Leur dire de continuer à fumer, ou leur offrir une alternative beaucoup moins toxique ? La réponse est évidente…
«La cigarette électronique est considérablement moins toxique que le tabac»
Toutefois, est-elle potentiellement cancérigène ? Aucune étude n’a encore évalué le risque cancérigène. Il faudrait soit regarder ce qui se passe au niveau des cellules en culture (ce qui pourrait nous donner une idée, mais aucune preuve définitive que les humains risquent de développer un cancer), soit s'intéresser aux cas de cancer chez les utilisateurs de cigarette électronique. Aucune étude sur les cellules n'a été réalisée, et celles sur l'homme ne donneront pas de résultats avant dix ans. En conséquence, on ne peut que postuler sur la présence de substances potentiellement cancérigènes, et faire des estimations de risque. Ce qui compte, c’est la dose de la substance chimique détectée. Par exemple, le formaldéhyde, considéré comme cancérigène, est aussi produit par le métabolisme de chaque être humain (y compris chez un non-fumeur), et est ensuite exhalé ! Or personne n’envisage que la respiration d'un individu puisse être cancérigène, parce qu’il s’agit de quantités insignifiantes! Je le répète, les données et les taux d'exposition de toxiques sont considérablement moindres avec la cigarette électronique. Le risque est donc considérablement moindre que celui du tabagisme. Il n'est pas prouvé qu'il n'y a aucun effet mais il faudra de nombreuses années pour le démontrer.
La cigarette électronique est aujourd’hui réglementée comme un produit de consommation. Comment mieux réguler son usage? On doit réglementer la cigarette électronique qui, je le rappelle, n’est destinée qu’aux fumeurs. Nous devons donc faire en sorte que ni les jeunes, ni les non-fumeurs commencent à l’utiliser. Je dois dire que la plupart des fabricants et des revendeurs de cigarettes électroniques jouent le jeu car aucune enquête ne conclut que ce produit attire les non-fumeurs. Nous avons réalisé l’étude la plus importante au monde avec près de 20 000 participants: seulement 0,4% des utilisateurs étaient non-fumeurs. Les fumeurs doivent donc avoir plus facilement accès à la cigarette électronique qu’au tabac. Toutes les réglementations plus sévères produiront l'inverse de l’effet recherché. Il serait paradoxal de réglementer plus sévèrement le produit le moins dangereux !
Avant d’être mis sur le marché, on vérifie l’efficacité et l’innocuité d’un médicament sur la base d’un dossier scientifique. La cigarette électronique doit-elle selon vous devenir un médicament de sevrage? Une médicalisation de ce produit aurait un impact négatif en terme de santé publique. Le développement remarquable, ces dernières années, de nouveaux modèles toujours plus efficaces sera stoppé net si ce produit devient un médicament. Nous parlons là d’une technologie (batteries, électronique) qui évolue vite et sur laquelle on ne peut appliquer la réglementation des médicaments. La grande diversité des arômes, qui joue un rôle majeur dans le succès de la cigarette électronique, ne serait plus possible non plus. Il faut bien comprendre que la cigarette électronique est efficace parce qu'elle procure du plaisir à l'utilisateur, sans l’exposer aux toxines de la fumée de tabac. Les médicaments ne sont pas, par définition, destinés à donner du plaisir. Réglementer la cigarette électronique comme un médicament en fera plutôt un nouvel inhalateur de nicotine, ce qui aura pour effet d’en diminuer le recours en tant qu’alternative au tabagisme.
«Il est légitime que les consommateurs défendent leurs droits de vapoter»
C’est un produit dont les ventes ont explosé malgré l’absence totale de marketing. Aujourd’hui, des associations indépendantes d’utilisateurs se créent qui défendent les droits des vapoteurs. Qu’en pensez-vous? Dans la mesure où les données scientifiques actuelles indiquent qu’elle est, et de loin, moins nocive que le tabac, il est à la fois légitime et essentiel que les consommateurs défendent leurs droits de consommer un produit moins dangereux. C'est une façon de protéger leur santé des méfaits du tabagisme. L'idéal serait d'avoir un médicament efficace chez tout le monde et qui permette d'arrêter de fumer facilement. Comme ce n'est pas le cas, nous avons besoin de la cigarette électronique pour réduire les risques liés au tabac.
Certains de vos confrères parlent d’une révolution en terme de santé publique. Pensez-vous qu’on assistera un jour à la fin du tabagisme? La cigarette électronique est le seul produit qui résout le problème à la fois pharmacologique (dû à la nicotine) et comportemental (stimulation sensorielle et motrice) de la dépendance au tabac. Aucun autre ne simule aussi bien l'acte de fumer, tout en exposant le consommateur à des doses de toxiques aussi faibles. C'est donc sans doute une révolution pour réduire le risque des maladies dues au tabac. Seul l'avenir nous dira si cela permettra d’éradiquer le tabagisme.
Certains de vos travaux de recherche ont été financés par des entreprises de cigarette électronique. Avez-vous aujourd’hui des intérêts financiers avec elles? Certaines ont en effet financé les recherches que nous avons réalisées. Ce n’est à mon sens pas un problème tant que la responsabilité de conduire les expériences et d'analyser les résultats restent entre les mains des chercheurs. A l'heure actuelle, aucune d'entre elles ne sait réaliser de telles études, ce qui veut dire qu’elles ne peuvent pas en prendre le contrôle. Ni moi, ni personne dans notre équipe de recherche au centre de chirurgie cardiaque Onassis n'avons de liens financiers avec les compagnies de cigarette électronique.Le site Internet qui présente l’ensemble de mes études est géré par des consommateurs qui n’ont aucun lien avec l’industrie de la cigarette électronique, et ne bénéficie d’aucun soutien financier ou publicitaire. Nous conservons notre indépendance et nous contrôlons notre recherche pour ce qui concerne la réalisation et la diffusion des résultats (positifs ou négatifs), tout en recherchant d'autres financements afin d’étendre nos connaissances sur le sujet. Nous avons encore beaucoup de choses à apprendre. N'oublions pas que nous continuons d'apprendre sur le tabagisme, alors qu’il est étudié depuis plusieurs décennies ! Il ne serait pas raisonnable de penser que nous avons fait le tour de la question en si peu de temps.
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